Nombreuses sont les vertus cachées du modèle « freemium », adopté par des acteurs du streaming musical comme Deezer ou Spotify. Des vertus que l'on ne voit pas, ou que l'on ne veut pas voir.
(article publié mi-juin 2015 sur le blog Proscenium.fr)
A voir l'infographie ci dessous réalisée par@Musicbizworld sur l'évolution du nombre d'utilisateurs de Spotify
et du nombre de ses abonnés ces cinq dernières années, la première
impression, forcément visuelle, est que l'économie du streaming
basée sur le modèle du « freemium » est prise dans une sorte de
spirale infernale, qui voit le nombre d'utilisateurs progresser de
manière exponentielle, quand le nombre d'abonnés croît beaucoup
moins vite. Sauf qu'il s'agit d'un pur effet d'optique.
Source : Spotify, Music Biz Worldwide |
Entre septembre 2011 et juin 2015, le
nombre d'utilisateurs de Spotify est certes passé de 10 millions à
75 millions, soit une progression de 650 % sur la période. Mais la
progression du nombre d'abonnés a été plus forte encore. Ils sont
plus de 20 millions aujourd'hui, contre 2 millions en septembre 2011,
soit une croissance de plus 900 % sur la période, nettement
supérieure à celle du nombre d'utilisateurs.
Cercle vertueux
C'est semble t-il une des lois d’airain
du freemium, que l'expérience persiste à vérifier : la croissance
du nombre d'abonnés est supérieure à celle du nombre
d'utilisateurs, ce qui fait de ce modèle un cercle vertueux plutôt
qu'un spirale infernale. En atteste la progression du taux de
conversion (d'utilisateurs en abonnés) affichée par Spotify : de 20
% en septembre 2011, il est aujourd'hui passé à 26,6 %. Selon son
PDG Daniel Ek, 80 % des abonnés à Spotify sont passés par l'offre
gratuite.
Le recrutement de Spotify en direct,
hors mécanique du freemium (offre gratuite pour appâter, offre
payante sans pub et de meilleure qualité), plafonne donc à 400 000
abonnés. C'est en rapport avec les performances du modèle «
premium » pur, sans offre gratuite financée par la publicité, avec
juste une période d'essai limitée. A titre d'exemple, citons Beats
et ses « pauvres » 250 000 abonnés lors de son rachat par Apple ;
ou encore l'américain Rhapsody, avec 2,5 millions d'abonnésrevendiqués en février 2015, après plus de dix ans d'existence.
Source : IFPI |
Les données économiques publiées
chaque année par l'Ifpi ne contredisent pas ce constat global. La
part des revenus de l'abonnement dans ceux du streaming, pour les
producteurs et éditeurs de phonogrammes, est en effet de plus en
plus importante d'année en année au niveau mondial. Inférieure à
50 % en 2012, elle frôle les 75 % en 2014. Et elle n'a cessé de
croître depuis 2011. Pas de quoi apporter une preuve formelle des
vertus du modèle freemium. On ignore par exemple quelle est la part
d'abonnements souscrits hors de ce cadre. Mais le poids de Spotify,
qui revendique 50 % de parts du marché mondial du streaming
aujourd'hui, imprime fortement sa marque.
Celui des acteurs du pur premium, vu
leur piètres performances en matière de recrutement de nouveaux
abonnés, ne vient certainement corriger cette tendance de fond qu'à
la marge. D'où il ressort, d'après le graphique de l'Ifpi ci-dessus, que plus
les revenus du gratuit augmentent, plus ceux de l'abonnement
progressent de manière encore plus accentuée. Une mécanique
parfaitement rationnelle, puisque le taux de conversion (des
utilisateurs en abonnés) croît lui aussi d'une année sur l'autre.
Mieux monétiser le "gratuit"
Est-ce là une autre loi d'airain du
modèle « freemium » ? L'avenir le dira. Les équilibres entre
gratuit et payant sont susceptibles de changer. L'offre gratuite, en
particulier, reste très largement sous-monétisée. Le développement
des autoradios connectés et d'offres de smartradios gratuites dans
les voitures par les acteurs du freemium, notamment, couplé à celui
du marché de la publicité locale grâce à la géolocalisation des
auditeurs, peuvent changer la donne.
Quoiqu'il en soit, la monétisation de
la partie gratuite des offres freemium progresse déjà. De 2,5 €
par an et par utilisateur en 2010, selon un rapport de l'Hapodi surle partage de la valeur dans la musique en ligne en France, elle est
passé à 3,65 € par an et par utilisateur en 2014, selon uneestimation du magazine en ligne professionnel Haut Parleur. C'est
bien plus que ce que rapporte un « pure player » du gratuit comme
Youtube aux ayant droit de la musique en France, soit 0,65 € par an
et par utilisateur, selon Haut Parleur.
Apparaît là une autre vertu du «
freemium » : celle de faire basculer les consommateurs vers un
modèle qui monétise mieux le gratuit que Youtube. « L'année
passée, Spotify a commencé à prendre des parts de marché à
YouTube en termes de volume de streaming pour les plus grands tubes
», constatait il y a quelques mois le magazine américain Billboard
sur le marché américain. La part de marché de Spotify sur le top
50 mondial, en nombre d'écoutes, y serait passée de 22 % à 33 % en
l'espace d'un an, quand celle de Youtube a reculé de 8 points dans
l'intervalle, pour s'établir à 58 %.
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