lundi 20 juillet 2015

L'industrie musicale à l'aube d'une révolution financière

La révolution des « fintech », ou nouvelles technologies financières sur Internet, fait trembler les grandes institutions bancaires depuis quelques mois. Elle pourrait aussi être à l'origine d'un afflux massif de capitaux vers la musique, et bouleverser de fond en comble la gestion de ses droits sur Internet.



Une multitude de start-up développent des services financiers « désintermédiés » sur le Web – financement participatif, prêt entre particuliers, prêts des particuliers aux entreprises, investissement en capital dans les PME, et création de monnaies virtuelles totalement indépendantes comme Bitcoin – qui permettent de faire le boulot des banques à leur place et sans elles, au service du développement de nouvelles formes d'économie. Comme le sentiment général est que les banques ne font plus leur travail depuis la crise de 2008, et alors que leur image de marque de « tiers de confiance » s'est nettement dégradée, la quête d'une alternative à la finance traditionnelle est très porteuse dans l'opinion, en particulier auprès des jeunes générations.

D'où le succès, auprès des internautes, des nouveaux acteurs de la « FinTech » que sont Prêt d'Union, Lending Club, Kickstarter, Wiseed, Ulule, KissKissBankBank et tant d'autres, qui associent les technologies du digital aux services financiers - à destination des particuliers (B to C) ou des entreprises (B to B). « Cet ensemble regroupe des entreprises ou plus généralement des start-up de toute taille avec des projets aussi différents les uns que les autres mais qui se rejoignent en ce que toutes abordent les métiers de la finance de façon disruptive, c’est-à-dire en rupture avec les modèles antérieurs d’organisation de ces activités, en privilégiant une approche liée à l’utilisation des technologies et des médias », explique Hubert de Vauplane, avocat d'affaires, dans un article sur les mutations de l'industrie financière publié par la Revue d'économie financière.

La musique sans les banques

Le paradoxe, c'est que l'industrie musicale, après quinze années de disruption massive de son économie, est l'une des premières à pouvoir profiter de la révolution des "fintech". Rares sont ses acteurs, en effet, qui ont une relation privilégiée avec leur banquier. Difficile, pour un patron de label ou un éditeur indépendant, d'obtenir un prêt ou ne serait-ce qu'une ligne de crédit. C'est pour cette raison qu'a été créé un organisme comme l'IFCIC (Institut de financement du cinéma et des industries créatives), qui octroie une garantie financière aux entreprises culturelles (de 50 % à 70 % du montant du crédit) et gère plusieurs fonds d'avance – aux industries musicales, aux jeunes entreprises de création, aux entreprises de presse, aux librairies indépendantes. Pour une banque, la musique ne représente bien souvent rien d'autre qu'un moyen de cibler des publics jeunes dans ses campagnes de marketing ; elle reste un métier de saltimbanque, et n'est certainement pas un business très sérieux.

Alors oui, plus l'industrie musicale, et la myriade de TPE et PME qui composent en réalité son tissu économique sur l'ensemble du territoire, basculeront vers les schémas de développement hérités de la nouvelle économie du numérique et s'appuieront sur ce que sont ses principaux leviers de croissance pour la musique aujourd'hui (le streaming, la mondialisation du marché, les nouvelles exploitations du live, les nouveaux médias, etc.), plus elles auront accès aux nouveaux modes de financement participatifs que développent les start-up de la « fintech ». A terme, mais c'est déjà le cas à un certain niveau, les industries musicales vont voir affluer vers elles une marée de capitaux, qui vont leur permettre d'investir massivement et à long terme dans leur transition vers l'économie numérique. Ce sera probablement l'un des effets les plus significatifs qu'aura la révolution des « fintech » sur elles.

Mais c'est ailleurs, en réalité, et beaucoup plus en profondeur, que se manifestera le principal impact des "fintech", au risque de provoquer une véritable révolution de l'économie de la musique. Car ce n'est plus seulement son produit qui se dématérialise désormais, mais toute sa chaîne de valeur, de l'investissement à la répartition des droits. Avec, à la clé, la possibilité d'une mise à plat transparente de tous les flux financiers qui viennent irriguer son tissu économique - en particulier ceux en provenance du numérique – et le rétablissement, sur de nouvelles bases, d'une confiance dans l'économie numérique de la musique. Il ne s'agit pas de rêver, mais de se projeter dans un futur que l'organisme Rethink Music nous fait déjà toucher du doigt dans son rapport Fair Music : tranparency and paiement flows in the music industry, en encourageant l'exploration du rôle que pourrait jouer la technologie Blockchain, développée pour l'administration décentralisée de la monnaie virtuelle Bitcoin, dans la mise en œuvre d'un nouveau système de gestion et de répartition des droits dans l'environnement numérique.

Vers un nouveau contrat de confiance

Toute la confiance dans le réseau Bitcoin - un grand nombre d'ordinateurs reliés par Internet qui exécutent le même protocole open source Bitcoin et fournissent les capacités de traitement nécessaires pour assurer la sûreté du système de cryptomonnaie – repose sur sa « blockchain » : une base de données partagée entre tous les ordinateurs du réseau Bitcoin (appelés « mineurs »), qui renferme un historique horodaté de toutes les transactions, de manière à pouvoir avoir connaissance à chaque instant de l'état des provisions de chacun. Les informations que contient la blockchain sont cryptées, et uniquement accessibles, de manière sélective, aux ordinateurs qui exécutent des transactions ou des opérations de transfert de fonds, avant d'être mises à jour en conséquence par l'émission de nouveaux blocs horodatés. Dans le cas des Bitcoin, c'est la cryptographie qui joue le rôle de tiers de confiance assuré jusque là par les banques.

Interfacée avec une base de données extrêmement détaillée des ayant droit de la musique et des identifiants des œuvres et de leurs fixations, qui serait enrichie de toutes les clés de partage des revenus établies sur une base contractuelle ou réglementaire, la technologie blockchain des monnaies « cryptées » permettrait d'assurer un gestion et une répartition dynamique et en temps réel des droits de la musique sur Internet, qui serait entièrement automatisée. Dans une telle configuration, tous les intermédiaires qui interviennent dans la répartition des droits disparaitraient du processus, de même que la banque n'est plus dans la boucle d'un prêt entre particuliers ou d'un transfert de fonds en Bitcoin. Lors de l'achat d'un titre en téléchargement, ou suite au bilan d'un mois d'écoutes sur une plateforme de streaming quelconque, les droits de reproduction mécanique et d'exécution publique exigibles viendraient créditer instantanément le compte de chaque ayant droit en bout de chaîne (auteur, compositeur, interprète, éditeur, producteur), sans aucune intervention extérieure.

Certains artistes, à l'instar de la chanteuse anglaise Imogen Heap, plaident déjà en faveur d'une telle redistribution des cartes dans le business de la musique. Le recours à la technologie blockchain permettrait en outre à chaque ayant droit de prendre connaissance en temps réel des usages et autres exploitations qui sont faites de ses œuvres ou de ses enregistrements. De quoi instaurer un nouveau contrat de confiance et une certaine transparence dans la gestion des droits de la musique sur Internet. Et questionner les sociétés de gestion collective autant que les banques.

A lire en complément  :


Suivre également mon compte Twitter @fintechrev

Revoir ma carte blanche à la Gaïté Lyrique à Paris, lors du forum Entreprendre dans la culture, sur les relations entre fonds d'investissement privés et industrie musicale (vidéo, début à 2'58)

Lire mon enquête sur une nouvelle génération de fonds d'investissement qui ciblent la musique, parue fin 2012 sur Electron Libre.

Revoir la conférence du Midem 2015 consacrée aux questions de transparence dans la gestion des flux financiers du numérique et à l'initiative Rethink Music

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