Écouter de la musique enregistrée n'a
pas toujours un coût pour l'auditeur, mais les créateurs, éditeurs,
interprètes, producteurs et autres ayant droit de cette musique sont
toujours supposés percevoir une compensation. Cette compensation provient de la
licence légale à la radio, des droits d'exécution publique que
perçoivent les sociétés de gestion collective auprès de chaînes
de télévision et des FAI, de ceux qui sont collectés auprès des
lieux sonorisés (bars, restaurant, commerces, clubs...), et bien
sûr, pour ce qui est de l'écoute dans un cadre privé, de la vente de
disques et de musique en téléchargement, ou du streaming.
Lors de l'achat d'un disque (CD ou
Vinyl), le consommateur pré-achète en quelque sorte le droit de
l'écouter autant de fois qu'il souhaite. Aucune enquête
sociologique ne s'est penchée à ce jour, cependant, sur le nombre
de fois qu'un disque acheté est écouté par celui qui l'a payé
tout au long de la durée de vie du produit. Si bien qu'il est
impossible d'évaluer combien est rémunérée en moyenne l'écoute
d'une chanson sur un disque acheté.
L'industrie musicale estime que 1500
écoutes d'un titre en streaming équivalent à un achat en
téléchargement. Elle établit surtout là un rapport économique,
puisque en effet, globalement, 1500 écoutes en streaming rapportent
autant que l'achat d'un titre en téléchargement. Mais il n'est pas
établi pour autant qu'un titre acheté en téléchargement est
écouté en moyenne 1500 fois sur sa durée de vie en tant que
fichier audionumérique. Idem pour une piste de CD ou une plage de
Vinyl.
Impossible d'établir jusque là, donc,
si la compensation perçue par les ayant droit d'une musique pour son
écoute dans un cadre privée est plus ou moins équivalente, en
moyenne, selon que cette écoute se fait en streaming ou à partir
d'un fichier ou d'un CD acheté. On peut se poser cependant la
question de la vraisemblance d'une telle hypothèse. Écouter un
titre 1500 fois, c'est en gros l'écouter une fois par jour pendant
trois ans, ou trois fois par semaine pendant dix ans. Plausible ?
Mes statistiques Last.fm m'en font
douter. Je n'ai en effet écouté que neuf fois le titre que j'ai le
plus écouté l'an dernier (Nope
de Wilco). Et 64 fois l'artiste que j'ai le plus écouté (The
Garden). Bien sûr, ayant écouté près de 900 artistes différents
dans l'année, le temps que je pouvais consacrer à chacun d'eux
était de fait limité. En l'espace de 10 ans, sur près de 70 000
écoutes, je n'ai écouté que 605 fois l'artiste le plus écouté
(Neil Young), toutes chansons confondues, et 466 fois les Rolling
Stones en deuxième position, ainsi que 6600 autres artistes.
Etant abonné à Spotify depuis 2009,
je peux établir de manière à peu près certaine ce que chacune de
mes écoutes a rapporté en moyenne aux ayant droit de la musique
depuis. Je totalise 62500 écoutes sur la période, soit un moyenne
de 7800 écoutes par an, et de 650 écoutes par mois. A raison d'un
abonnement de 9,90 € TTC par mois, soit 8,25 € HT, et en gros 5,8
€ pour les ayant droit, on obtient une compensation moyenne par
écoute de 0,008 €.
Cette compensation moyenne de ma
consommation personnelle a cependant varié de manière assez
prononcée d'une année sur l'autre. En 2011, année où j'ai
enregistré le plus grand nombre d'écoutes (14 674), elle fut de
0,0047 € par écoute. Mais avec seulement 1260 écoutes en 2015,
soit 126 écoutes par mois, elle a été dix fois supérieure (0,046
€ par écoute). Avec 676 écoutes depuis le début de l'année
2017, je suis reparti sur une consommation assez forte, et donc sur
une compensation assez faible.
Ce constat me fait m'interroger sur la
manière dont on pourrait rendre le streaming plus profitable pour
les labels et les artistes les moins exposés. Et notamment sur la
pertinence de proposer des offres d'abonnement dont le prix serait
fonction du nombre d'écoutes mensuel auquel souscrit l'abonné, avec
une répartition qui ne serait plus au prorata mais par abonné. Il
faudrait faire tourner quelques modèles mathématique pour en
mesurer tous les effets.
Je suis, à n'en pas douter, un très
gros consommateur de musique. En tant qu'abonné à un service de
streaming, je rapporte en gros 70 euros par an aux ayant droit, soit
autant que si j'achetais un album ou dix titres par mois en
téléchargement. Dix titres achetés par mois, c'est un peu comme si
je pré-achetais 15 000 écoutes tous les mois, selon les critères d'équivalence de l'industrie musicale, quand je n'en
consomme que 650 en moyenne. De quoi me déculpabiliser de la faible compensation que les ayant droit perçoivent de mes écoutes.
Ce qui change carrément la donne, à vrai dire,
c'est la diversité de consommation à laquelle le streaming expose.
Mes 1700 écoutes de décembre 2011 ont porté sur 640 artistes
différents. Et mes 463 écoutes de janvier 2017 sur 210 artistes
différents. On se demande comment c'est possible. 70 000 écoutes scrobblées par Last.fm depuis 2005, de 35 000 titres différents, de 6600 artistes, soit deux écoutes par titre en moyenne, et un dizaine d'écoutes par artiste. Du coup, la compensation que mes écoutes génèrent pour les ayant droit s'atomise complètement. L'amoncellement de nano-compensations devient la règle. La musique est semble t-il la première à devoir s'y adapter.
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