Le business de Youtube « s'est
bâti sur le dos de la gratuité, de contenus volés ». La
phrase de Trent Reznor, ex-chanteur du groupe de rock industriel américain Nine Inch Nails et désormais
haut dirigeant d'Apple Music, a fait le tour des médias et des
réseaux sociaux toute la journée du mercredi 15 juin 2016.
Prononcée la veille, lors de la conférence mondiale des
développeurs d'Apple, elle semble avoir été prise pour argent
comptant par la plupart de ceux qui l'ont relayée : comme une
évidence, une chose entendue, qui n'a fait l'objet d'aucun
commentaire contradictoire - ce qui aurait pu, il est vrai, passer
pour politiquement incorrect, dans un contexte de Youtube-bashing
généralisé.
Sauf qu'on pourrait tout aussi
péremptoirement en dire autant d'Apple. Affirmer que son business,
et le succès du baladeur iPod dans les années 2000, qui a été une
véritable renaissance pour la firme, ont reposé sur la possibilité
de remplir cet appareil de milliers de fichiers MP3 gratuits et
« volés », sur les réseaux P2P ou ailleurs - et
accessoirement de quelques dizaines de chansons achetées sur
iTunes : la portion congrue à laquelle se réduisait de fait
dans le big deal avec Apple, pour l'industrie de la musique et
l'ensemble de ses acteurs, le véritable « marché » du
numérique.
Apple a donc été, avant Youtube,
acteur d'une vaste entreprise de démonétisation de la musique dans
l'environnement numérique, qui ne disait pas plus son nom
qu'aujourd'hui. Notre époque, et Trent Reznor, ont la mémoire
courte.
Comme Youtube, Apple est un GAFA, une
corporation multinationale assise sur un véritable trésor de
guerre, amassé en partie grâce à l'émergence de nouvelles formes
de gratuité sur Internet (qui lui ont permis de vendre des centaines
de millions de baladeurs iPod), et grâce à des pratiques
d'optimisation fiscale elles-mêmes très optimisées.
L'essentiel des fonds propres d'Apple,
comme ceux de la plupart des GAFA, est à l'abri dans des paradis fiscaux. Constructeur informatique devenu fabricant de produits
électroniques grand public, la Pomme se transforme peu à peu en entreprise de services. Du iPod à Apple Music (mais aussi du iPhone,
de l'iPad ou de l'Apple TV à iCloud, App Store et Apple Pay), la
transition se fait progressivement. Les usines dans lesquelles sont
fabriqués ses appareils ou leurs composants, dont le coût marginal
de production va tendre progressivement vers zéro, seront bientôt
presque toutes robotisées.
L'essentiel
des actifs d'Apple se concentrera demain dans des entrepôts de données gigantesques (encore une ressource gratuite, la data),
alimentés par des fermes de
panneaux solaires. Apple est, autant que Google, une redoutable machine à capter la
valeur, et l'un des trous noirs qui l'aspire dans la cartographie du
value gap tant dénoncé
par les filières de la création. Elles ne sont pas les seules
concernées. C'est toute l'économie réelle qui est impactée par
ce hold up numérique qu'Apple, comme les autres GAFA et certains
États complaisants fiscalement, contribuent largement à organiser.
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