La grogne des labels indépendants contre les conditions contractuelles que veut leur imposer Apple pour le lancement de son service de streaming sur abonnement n'a cessé de monter en puissance depuis le début de la semaine.
C'est à chaque fois le même scénario, comme pour le lancement d'iTunes en 2004, celui d'iCloud en 2011,ou encore de Youtube Music Key cette année. Une fois un accord négocié avec les trois majors du recording – Universal Music Group, Sony Music Entertainment et Warner Music Group –, qui pèsent 70 % du marché mondial de la musique enregistrée, les labels indépendants sont mis devant le fait accompli lors du lancement d'un nouveau service de musique en ligne par les GAFA. Et se voient proposé de signer un contrat unique dont les termes ne sont pas négociables. Comme les accords signés avec les majors sont sous NDA (Non Disclosure Agreement), et qu'on ne sait rien de leurs termes, la suspicion règne chez les indés, qui ne s'estiment pas traités sur un pied d'égalité.
Depuis quelques jours, la « nation indépendante » donne de la voie sur tous les tons et sur tous les canaux pour dénoncer l'attitude d'Apple à son égard. C'est à la page 54 du contrat-type imposé par Apple aux indés, révélé par le site américain Digital Music News, que figure les trois lignes qui ont mis le feu aux poudres : « Par souci de clarté, pour les essais gratuits et les comptes de démonstration mis à disposition gratuitement par Apple, aucune part de royalties ni aucun paiement de licence [...] ne sera due [au label] ». Apple Music permettra en effet de tester son service gratuitement pendant trois mois. De fait, aucun de ses utilisateurs ne paiera d'abonnement pendant la période de juillet à septembre. L'appel d'air que promet de provoquer le lancement d'Apple Music fait craindre aux labels que le service ne vienne cannibaliser sensiblement leurs ventes en téléchargement cet été, ansi que les revenus en provenance d'autres plateformes de streaming.
Nouveautés en danger
« Nous sommes très inquiets,
en particulier pour les artistes qui sortent un album dans les trois
prochain mois, de savoir qu'aucune écoute réalisée sur le nouveau
service ne sera rémunérée jusqu'au mois de septembre »,
s'inquiète l'anglais Beggars Group sur son blog, dans un billet posté à l'attention de ses labels (4AD, Matador, Rough Trade, XL
Recording), des artistes et des managers. « En agissant
ainsi, Apple risque de provoquer une perte de revenus qui peut être
considérable pour tous les labels dont l’activité repose sur la
sortie des nouveautés, et ce d’autant plus lorsque leur équilibre
économique dépend du succès d’un titre ou d’un album pendant
cette période de gratuité », renchérit l'UPFI (Union des
producteurs français de phonogrammes), dans une lettre ouverte adressée aux dirigeants d'Apple.
« Sans être devin, il y a un
risque que le download,
très majoritairement porté par Itunes s'écroule, en tout cas
pendant ces trois mois. Autrement dit, l’on peut estimer que ce
sont près de 25% des revenus numériques des labels indépendants
qui vont disparaître », dénonce dans un communiqué la
Félin (Fédération nationale des labels indépendants), qui
représente de nombreuses petites structures régionales en France.
« Cette baisse substantielle n’est pas supportable pour
nos labels. […] Elle peut […] représenter plusieurs mois de
salaires d'équipes réduites et déjà mal payées. ». D'une
manière générale, les labels indépendants, déjà fragilisés par
la crise du disque, se refusent à financer, au péril de leur
existence pour certains, les coûts de marketing et de recrutement
d'Apple Music, que d'aucuns estiment à 4,4 milliards de dollars.
Depuis
le début de la semaine, de nombreux syndicats de labels indépendants
– A2IM aux Etats-Unis, AIM au Royaume Uni, AIR en
Australie, ou VUT en Allemagne – ont élevé la voix dans le même
sens, à coup de communiqués de presse et de lettres ouvertes. Le
« free trial », ou essai gratuit et non rémunéré de
trois mois, n'est pas la seule pomme de discorde entre Apple et les
indés. Le service Apple Music Connect, lancé à destination des
artistes présent sur iTunes, et qui fait l'objet d'un deal direct
entre l'artiste et la plateforme de téléchargement d'Apple –
distinct de celui passé avec son label -, soulève aussi la
controverse. En permettant à l'artiste de mettre directement à
disposition de ses fans toutes sortes de contenus ou de goodies
sur sa page de profil – live sessions, vidéos, photos, etc. -, il
laisse craindre à certain l'émergence d'un nouveau Soundcloud
puissance mille. « Nous avons quelques réserves sur
les aspects pratiques et commerciaux [de ce service],
commente Beggars Group. C'est une erreur de considérer ces
contenus [postés directement par les artistes] comme libres de
droits. »
100 millions de recrues potentielles
D'autres
clauses du contrat d'Apple sont susceptibles de déclencher l'ire de
certains labels : celle qui prévoit que les utilisateurs de son
service de stockage déporté iCloud, par exemple, puissent accéder
gratuitement et sans rémunération des ayant droit à son nouveau
service de webradio linéaire 24/7 Beats 1. Mais pour l'heure, seuls les
labels indépendants se plaignent. Le silence des majors reste
assourdissant. Auraient-elles obtenu, en compensation du free
trial et de certaines clauses,
des contreparties qui les satisfont pleinement par ailleurs ; en
terme d'avances, notamment ? (1) Pour l'instant, l'organisme Merlin,
qui négocie au nom de 20 000 labels indépendants avec les
plateformes à l'international, et qui avait obtenu des concessions
de Google sur le contrat « non négociable » de Youtube
Music Key, n'est pas vraiment monté au créneau ; sinon pour recommander
la prudence à ses membres, qui ont toujours la possibilité de
signer en direct.
« Il n'y a pas de position bien arrêtée »
de Merlin, confie un agrégateur
qui travaille avec des labels mais aussi avec des artistes en direct,
dont certains gagnent plusieurs milliers d'euros par mois avec le
streaming. « Les labels et distributeurs membres sont
libres de leurs choix stratégiques […]. En ce qui me concerne,
tous nos artistes seront sur Apple Music au moment du lancement.
Mieux vaut y être et ne rien gagner pendant 3 mois que rater le
coche d'une potentielle visibilité », explique
t-il. Pour ceux qui
sont en mesure de se projeter sur le long terme, Apple, qui prévoit
de lancer son service de streaming dans une centaine de pays, a des
arguments de poids à faire valoir : comme sa capacité à
promouvoir Apple Music auprès d'une centaine de millions de
possesseurs de iPhones ou de iPads, et à recruter des abonnés par
millions en un temps records.
Certains
estiment qu'Apple peut contribuer à doubler voire tripler la valeur
du marché de l'abonnement dès l'an prochain. Le nombre de
conversions à son service payant à la rentrée – il faut rentrer
son numéro de carte bancaire pour bénéficier de la période
d'essai, et se désinscrire si l'on ne souhaite pas être facturé
ensuite – sera un indicateur de la force de frappe réelle d'Apple,
et suscitera à n'en pas douter de nombreux commentaires. Un taux de conversion plus élevé que celui de Spotify, notamment, mettrait en péril le modèle freemium, Le bilan des conditions
imposées par la firme aux indés, et l'étude d'impact du free
trial d'Apple Music sur leurs
ventes en téléchargement de l'été et sur la santé des structures
les plus fragilisées, ne connaîtra certainement pas la même
publicité.
1/ Pour le lancement d'iCloud, Apple aurait versé entre 100 et 150 millions de dollars d'avances aux majors, selon le New York Post.
1/ Pour le lancement d'iCloud, Apple aurait versé entre 100 et 150 millions de dollars d'avances aux majors, selon le New York Post.
Rebondissement ce WE, Apple s'est finalement engagé à payer les ayant droit pendant la période de free trial, certes en réponse à la fronde des indés, mais surtout à une lettre ouverte de Taylor Swift à Apple. "We don't need indies, but we need Taylor Swift"...
RépondreSupprimerhttp://recode.net/2015/06/21/apple-says-it-will-pay-taylor-swift-for-free-streams-after-all/
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